Prix global déclaré normal après demande de justifications – Motivation insuffisante

La justification d'un prix global tenant à la proximité de l’entreprise et à la circonstance que des installations de production font partiellement ou totalement partie du groupement ne suffit pas pour déclarer le prix comme normal.

Rappel des faits

Dans le cadre du marché public de travaux pour la démolition d’infrastructures et la construction de nouvelles tribunes du circuit de Spa-Francorchamps, l’offre du groupement ayant obtenu le marché a été déclarée régulière malgré un prix global inférieur de 17,46 % par rapport à la moyenne des offres déposées par les soumissionnaires.

Le Conseil d’Etat a toutefois été saisi d’une demande en suspension d’extrême urgence dirigée contre la décision d’attribution du marché en cause. Un soumissionnaire non-retenu a en effet dénoncé l’insuffisance de la motivation relative à l’appréciation ayant conduit le pouvoir adjudicateur à ne pas déclarer anormalement bas le prix global de l’offre de l’adjudicataire.

Principes et dispositions applicables

Conformément à l’article 84 de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics, le pouvoir adjudicateur a l’obligation de procéder à une vérification concrète des prix ou coûts des offres introduites afin de s’assurer que le prix proposé peut garantir une exécution du marché conforme aux exigences édictées par les documents du marché et aux prestations proposées par les soumissionnaires.

Pour les marchés publics de travaux et certains marchés publics de services passés par procédure ouverte ou restreinte, l’article 36, § 4, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques prévoit ce qui suit :

« Dans le cas d’un marché de travaux ou d’un marché de services dans un secteur sensible à la fraude passé par procédure ouverte ou restreinte et dont l’offre économiquement la plus avantageuse est uniquement évaluée sur la base du prix et pour autant qu’au moins quatre offres aient été prises en considération conformément aux alinéas 3 et 4, le pouvoir adjudicateur effectue un examen des prix ou des coûts conformément aux paragraphes 2 et 3, pour toute offre dont le montant total s’écarte d’au moins quinze pour cent en dessous de la moyenne des montants des offres déposées par les soumissionnaires. Il en va de même, pour les marchés de travaux et les marchés de services dans un secteur sensible à la fraude passés par procédure ouverte ou restreinte, lorsque l’offre économiquement la plus avantageuse est évaluée sur la base du meilleur rapport qualité-prix lorsque le poids du critère relatif au prix représente au moins cinquante pour cent du poids total des critères d’attribution. Toutefois, dans ce dernier cas, le pouvoir adjudicateur peut prévoir dans les documents du marché un pourcentage plus élevé que quinze pour cent. »

En cas d’apparence d’anormalité, les articles 36, § 2, de l’arrêté royal précité prévoit ce qui suit :

« Lors de l’examen des prix ou des coûts, le pouvoir adjudicateur invite le soumissionnaire à fournir les justifications écrites nécessaires relatives à la composition du prix ou du coût considéré comme anormal […].

Les justifications concernent notamment :

1° l’économie du procédé de construction, du procédé de fabrication des produits ou de la prestation des services ;

2° les solutions techniques choisies ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour exécuter les travaux, pour fournir les produits ou les services ;

3° l’originalité des travaux, des fournitures ou des services proposés par le soumissionnaire ;

4° l’obtention éventuelle par le soumissionnaire d’une aide publique octroyée légalement.

[…]

Le pouvoir adjudicateur n’est toutefois pas tenu de demander des justifications des prix de postes négligeables ».

Les justifications énumérées par l’article 36, § 2, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 ne sont pas limitatives de sorte que d’autres justifications peuvent être admises.

Lorsqu’un soumissionnaire est interrogé par rapport au caractère anormal de ses prix, celui doit apporter une réponse adéquate, suffisamment précise, concrète et soigneusement étayée, bien qu’il soit autorisé à fournir des données autres que chiffrées. N’est dès lors pas suffisante la justification vague, imprécise ou qui consiste en une simple confirmation du prix.

L’article 36, § 3, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 précise enfin que « le pouvoir adjudicateur apprécie les justifications reçues et :

1° soit constate que le montant d’un ou de plusieurs poste(s) non négligeable(s) présente(nt) un caractère anormal et écarte l’offre en raison de l’irrégularité substantielle dont elle est entachée ;

2° soit constate que le montant total de l’offre présente un caractère anormal et écarte l’offre en raison de l’irrégularité substantielle dont elle est entachée ;

3° soit motive dans la décision d’attribution que le montant total de l’offre ne présente pas de caractère anormal. »

Décision du Conseil d’Etat

Dans le cadre du marché public en cause, le pouvoir adjudicateur a procédé à l’examen du prix global de l’offre du groupement ayant obtenu le marché, conformément à ce que prévoit l’article 36, § 4, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 18 avril 2017. Cette offre était en effet inférieure de 17,46 % par rapport à la moyenne des offres des autres soumissionnaires du marché.

Aux termes de son arrêt n° 250.312 du 8 avril 2021, le Conseil d’Etat a tout d’abord rappelé que, lorsque le pouvoir adjudicateur est tenu de procéder à l’examen du montant global d’une offre en vertu de l’article 36, § 4, alinéa 1er, précité, l’appréciation qui le conduit à écarter le soupçon d’anormalité déduit de cette disposition doit faire l’objet d’une motivation précise, de laquelle doit dûment ressortir la réalité, l’exactitude et la pertinence des éléments sur lesquels est fondée la décision de ne pas considérer le prix global de cette offre comme étant anormalement bas.

En l’espèce, le pouvoir adjudicateur a retenu, pour établir la normalité de l’offre de l’adjudicataire, la proximité géographique des installations de production et la circonstance que ces installations font partiellement ou totalement partie du groupement en question.

S’il n’est pas invraisemblable que les éléments de justification du prix global tenant à la proximité de l’entreprise et à la circonstance que des installations de production font partiellement ou totalement partie du groupement puissent être de nature à réduire certains frais, le Conseil d’Etat a estimé qu’il n’en demeure pas moins que la seule allégation de ces éléments – qui ne se traduit en chiffres ni dans la motivation ni dans les pièces du dossier – paraît insuffisante pour justifier la normalité du prix global. Le Conseil d’Etat a ainsi rappelé que l’analyse des prix globaux doit en effet être effective et les éléments concrets qui ont donné lieu au constat que les prix ne sont pas anormaux doivent ressortir à suffisance du dossier et de la décision motivée du pouvoir adjudicateur.

Au vu de ce qui précède, l’exécution de la décision d’attribution attaquée a été suspendue par le Conseil d’Etat compte tenu de l’insuffisance de la motivation relative à l’appréciation ayant conduit le pouvoir adjudicateur à ne pas déclarer anormalement bas le prix global de l’offre du groupement ayant obtenu le marché.

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