Critère de sélection : le chiffre d’affaires annuel exigé ne peut être disproportionné

Lorsqu'il prévoit un critère de sélection imposant un chiffre d'affaires annuel global, le pouvoir adjudicateur doit veiller à fixer un niveau d'exigence lié et proportionné à l'objet du marché.

Rappel des faits

Par un arrêt du 23 octobre 2020, le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur le caractère proportionné du chiffre d’affaires annuel global exigé de la part des soumissionnaires dans le cadre de la sélection qualitative.

Dans le cadre d’un  marché public de travaux portant sur l’aménagement d’un terrain de football en gazon synthétique et de ses abords, le pouvoir adjudicateur a fixé un critère de sélection prévoyant l’exigence d’un chiffre d’affaires annuel global de 5.000.000 EUR minimum en vue de vérifier la capacité économique et financière des soumissionnaires.

A défaut d’atteindre ce niveau minimal d’exigence, un soumissionnaire non-sélectionné a saisi le Conseil d’Etat afin de dénoncer le caractère disproportionné dudit niveau d’exigence et ce, sur la base des arguments suivants :

– selon  la décision d’attribution, le marché a donné lieu à des offres portant sur des montants allant de 567.776,69 EUR à 745.346,89 EUR ;

– la classe exigée pour le marché (classe 4) correspond à des travaux représentant un montant jusqu’à 900.000 EUR ;

– les documents du marché ont imposé aux soumissionnaires de produire des références de travaux exécutés au cours des cinq dernières années, devant porter sur des travaux similaires pour un montant minimum de 400.000 EUR.

A l’examen du dossier administratif déposé en cours de procédure, il est également apparu que le pouvoir adjudicateur avait estimé la valeur du marché à 548.609,71 EUR HTVA, soit 663.817,75 EUR TVAC.

Décision du Conseil d’Etat

Aux termes de son arrêt n° 248.728 du 23 octobre 2020, le Conseil d’Etat a tout d’abord rappelé que si le pouvoir adjudicateur dispose d’une grande marge d’appréciation pour fixer les critères de sélection et les seuils à atteindre, cette liberté est toutefois soumise au respect de certaines conditions dont celle imposant de fixer des critères de sélection et des niveaux d’exigence liés et proportionnés à l’objet du marché.

Le Conseil d’Etat ajoute qu’à cette obligation de préciser des critères de sélection et des niveaux d’exigence liés et proportionnés à l’objet du marché, s’attachent notamment les deux effets suivants :

– d’une part, les choix posés par le pouvoir adjudicateur dans la définition des critères de sélection doivent pouvoir être justifiés au regard des caractéristiques du marché concerné et des contraintes auxquelles l’exécution de celui-ci exposera l’attributaire, ces critères devant précisément permettre au pouvoir adjudicateur de s’assurer de ce que l’opérateur choisi sera capable d’exécuter ce marché ;

– d’autre part, lorsque le caractère proportionné du niveau d’exigence d’un critère de sélection est contesté dans le cadre d’un recours, l’instance de recours doit se prononcer sur la base des éléments invoqués par le pouvoir adjudicateur pour justifier le niveau d’exigence critiqué.

Lors de la procédure devant le Conseil d’Etat, le pouvoir adjudicateur a justifié le chiffre d’affaires annuel global exigé par la courte durée du marché (quarante jours ouvrables). Dès lors que le marché en cause représente un montant estimé d’environ 700.000 EUR TVAC pour quarante jours ouvrables, le pouvoir adjudicateur a multiplié ce montant par huit (pour douze mois), ce qui correspond à un chiffre d’affaires annuel de 5.600.000 EUR. Selon le pouvoir adjudicateur, il n’était donc absolument pas disproportionné d’exiger comme condition minimale la preuve d’un chiffre d’affaires de 5.000.000 EUR par an.

Le Conseil d’Etat a toutefois considéré que le pouvoir adjudicateur ne peut effectuer une extrapolation de la durée du marché – et, par voie de conséquence, de son montant estimé – pour déterminer le niveau d’exigence du chiffre d’affaires annuel dès lors que ceci est un élément étranger à l’objet du marché et à ses caractéristiques. Dès lors que le montant estimé du marché s’élève à environ 700.000 EUR, le pouvoir adjudicateur ne pouvait en effet extrapoler ce montant pour le fixer en tenant compte d’une durée hypothétique d’un an.

Au vu de ce qui précède et compte tenu de l’écart considérable entre le chiffre d’affaires exigé et les éléments mis en évidence par la requérante (montant des offres, classe exigée, montant des références et valeur estimée du marché), le Conseil d’Etat a considéré que le niveau d’exigence prévu en l’espèce était disproportionné de sorte que la décision d’attribution du marché en cause a été annulée.

Le marché en cause ayant été passé selon la loi du 15 juin 2006, la requérante n’a pas pu invoquer l’article 67, § 3, alinéa 2, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques (qui, en principe, s’applique également aux secteurs spéciaux conformément à l’article 70 de l’arrêté royal du 18 juin 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs spéciaux), lequel prévoit que « le chiffre d’affaires annuel minimal que les opérateurs économiques sont tenus de réaliser ne dépasse pas le double de la valeur estimée du marché, sauf dans des cas dûment justifiés tels que ceux ayant trait aux risques particuliers inhérents à la nature des travaux, services ou fournitures ». 

Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt du 23 octobre 2020, il ne fait guère de doute que cette disposition aurait constitué un argument supplémentaire en vue d’obtenir l’annulation de la décision d’attribution attaquée.

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