Calcul de l’indemnité réparatrice en cas de marché public passé sous forme d’accord-cadre

Lorsqu'un marché public est passé sous forme d’accord-cadre et peut être résilié avant son terme, l'indemnité réparatrice est calculée sur la base des prestations effectivement réalisées et de la durée réelle du marché.

Rappel des faits

En 2018, un soumissionnaire dont l’offre n’a pas été retenue a sollicité l’annulation de la décision d’attribution d’un marché public de services passé sous forme d’accord-cadre en raison d’une évaluation des offres réalisée sur la base de sous-critères d’attribution et de pondérations relatives non-annoncés dans les documents du marché.

Suite à l’arrêt d’annulation rendu le 14 décembre 2020 par le Conseil d’Etat, le soumissionnaire concerné a ensuite introduit une demande en indemnité réparatrice sur la base de l’article 11bis des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat afin d’obtenir la réparation du préjudice lié à la perte du marché public en cause.

Principes et dispositions applicables

Depuis son entrée en vigueur le 1er juillet 2014, l’article 11bis des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat prévoit que « toute partie requérante ou intervenante qui poursuit l’annulation d’un acte, d’un règlement ou d’une décision implicite de rejet en application de l’article 14, § 1er ou § 3, peut demander à la section du contentieux administratif de lui allouer par voie d’arrêt une indemnité réparatrice à charge de l’auteur de l’acte si elle a subi un préjudice du fait de l’illégalité de l’acte, du règlement ou de la décision implicite de rejet, en tenant compte des intérêts publics et privés en présence ».

Dans le cadre de la réglementation relative aux marchés publics, la possibilité de solliciter des dommages et intérêts est rappelée à l’article 16 de la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l’information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions.

Cette disposition prévoit que « [l]’instance de recours accorde des dommages et intérêts aux personnes lésées par une des violations visées à l’article 14 commise par l’autorité adjudicatrice et précédant la conclusion du marché ou de la concession, à condition que ladite instance considère comme établis tant le dommage que le lien causal entre celui-ci et la violation alléguée ».

En son alinéa 4, l’article 16 précité ajoute que « [l]’indemnité réparatrice visée à l’article 11bis des lois sur le Conseil d’Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, constitue des dommages et intérêts ou une indemnité forfaitaire au sens du présent article ».

Si la possibilité de solliciter une indemnité réparatrice auprès du Conseil d’Etat existe donc depuis plus de huit ans, force est de constater que les arrêts rendus à la suite d’une demande d’indemnité réparatrice sont peu nombreux en matière de marchés publics.

Afin de calculer le montant de l’indemnité réparatrice, le Conseil d’Etat considère qu’il convient de tenir compte du bénéfice pouvant être escompté par la partie requérante en cas d’attribution du marché et au degré de probabilité d’une telle attribution.

S’agissant du bénéfice escompté, le Conseil d’Etat estime le plus souvent qu’il peut être fait référence au pourcentage de 10 % du montant de l’offre dû au soumissionnaire ayant remis l’offre régulière la plus basse dans l’hypothèse d’un marché attribué par procédure ouverte ou restreinte sur la seule base du prix (hypothèse visée par l’article 16 de la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l’information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions) et ce, même lorsqu’il est fait usage d’un autre mode de passation.

Quant à la chance d’obtenir le marché dans l’hypothèse d’une nouvelle procédure, le Conseil d’Etat tient généralement compte du nombre d’offres déposées. Il divise ainsi le montant du bénéfice escompté par le nombre d’offres déposées pour déterminer la chance qu’aurait eue la partie requérante d’obtenir le marché.

Si cette tendance jurisprudentielle paraît se confirmer au fil des arrêts, certaines questions et difficultés demeurent. Lorsque, comme dans le cas présent, le marché est passé sous forme d’accord-cadre et peut être résilié avant son terme, l’étendue du préjudice est incertaine de sorte que son évaluation n’est pas chose aisée.

Décision du Conseil d’Etat

Aux termes de son arrêt n° 254.357 du 30 août 2022, le Conseil d’Etat a confirmé que, quelle que soit le mode de passation du marché, une analogie avec l’indemnité forfaitaire de 10 % prévue par l’article 16 de la loi du 17 juin 2013 peut être acceptée afin d’évaluer le préjudice subi par un soumissionnaire évincé. Le Conseil d’Etat a ainsi souligné qu’il est pratiquement impossible de calculer avec précision le manque à gagner lié à un marché public, d’une part, et la perte d’une référence, d’autre part.

Dans la mesure où, en l’espèce, le marché a été passé sous forme d’accord-cadre et que ce marché était en cours depuis déjà plusieurs années, le Conseil d’Etat a décidé de se fonder sur les dépenses effectivement facturées et non sur le montant de l’offre de la partie requérante pour déterminer le montant sur la base duquel l’indemnité forfaitaire de 10 % serait calculée.

Dès lors que le volume de prestations commandées par le biais d’un accord-cadre est incertain lors de l’attribution du marché, le Conseil d’Etat a ainsi estimé que le préjudice devait être évalué sur la base des prestations réellement commandées et non sur la base des prestations estimées au moment de l’attribution du marché.

En ce qui concerne la durée du marché, celle-ci a été fixée à sept ans par les documents du marché avec une faculté de résiliation après une période de cinq ans. Dès lors qu’en l’espèce, le pouvoir adjudicateur a décidé de faire usage de cette faculté de résiliation anticipée, le Conseil d’Etat a calculé le montant de l’indemnité sur la base d’une durée de cinq ans et non de sept ans comme demandé par la partie requérante.

En tenant compte de ces éléments, le Conseil d’Etat a finalement accordé une indemnité réparatrice d’un montant de 1.223.479,39 EUR à la partie requérante, laquelle avait, pour information, proposé un prix de 35.401.471 EUR pour la durée totale du marché.

Si le fait de tenir compte des dépenses effectivement facturées et de la durée réelle d’un marché public passé sous la forme d’un accord-cadre permet d’accorder une indemnité qui correspond mieux à l’étendue et à la durée réelles du marché, une telle solution ne semble toutefois envisageable que pour un marché déjà exécuté, à tout le moins en grande partie.

En l’espèce, l’indemnité réparatrice a été accordée plus de quatre ans après l’attribution du marché et après la décision du pouvoir adjudicateur de résilier anticipativement le marché, ce qui a permis de tenir compte de données concrètes pour apprécier l’ampleur du préjudice. Il conviendra cependant de rester attentif aux décisions qui seront prises à l’avenir par le Conseil d’Etat s’agissant d’accords-cadres qui n’auront été que très partiellement exécutés.

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