Possibilité de régulariser une offre affectée d’une irrégularité substantielle

Lorsque le montant estimé du marché est égal ou inférieur au seuil fixé pour la publicité européenne et que la procédure permet une négociation, l'article 76, § 5, de l'arrêté royal du 18 avril 2017 permet au pouvoir adjudicateur de régulariser une offre.

Rappel des faits

Dans le cadre d’un marché public de services passé par procédure négociée directe avec publication préalable, l’offre d’un soumissionnaire a été écartée en raison d’une signature irrégulière. Le soumissionnaire concerné a toutefois saisi le Conseil d’Etat d’une demande en suspension d’extrême urgence afin de critiquer le sort réservé à son offre en faisant notamment remarquer au pouvoir adjudicateur qu’il avait la faculté de faire régulariser l’offre en question.

Principes et dispositions applicables

Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics, les demandes de participation et les offres qui doivent être déposées électroniquement sont, en principe, signées de manière globale par l’apposition d’une signature électronique qualifiée sur le rapport de dépôt.

L’article 44 de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques ajoute que la signature doit être émise « par la ou les personne(s) compétente(s) ou mandatée(s) à engager le soumissionnaire ».

Selon l’article 76, § 1er, de l’arrêté royal du 18 avril 2017, est réputée substantielle l’irrégularité liée au non-respect des exigences fixées en matière de signature des demandes de participation et des offres.

Le Conseil d’Etat estime ainsi que « la signature valide de l’offre est une condition essentielle de régularité de l’offre » (C.E., arrêt n° 224.458 du 2 août 2013, AM ADVISERS – BURO II & ARCHI+I) et que ce caractère essentiel découle de la nature même de la signature d’une offre dès lors que c’est par cette signature que le soumissionnaire exprime son engagement.

Le sort à réserver à une offre affectée d’une irrégularité substantielle peut cependant varier selon le mode de passation retenu et le fait que le montant estimé du marché atteigne ou non les seuils européens de publicité :

– si le marché est passé par procédure ouverte ou restreinte, le pouvoir adjudicateur a l’obligation de déclarer nulle l’offre affectée d’une irrégularité substantielle (art. 76, § 3, arrêté royal du 18 avril 2017) ;

– si le montant estimé du marché est égal ou supérieur au seuil fixé pour la publicité européenne et qu’il est fait usage d’une procédure permettant une négociation, le pouvoir adjudicateur a l’obligation de déclarer nulle l’offre affectée d’une irrégularité substantielle, sauf disposition contraire dans les documents du marché (art. 76, § 4, arrêté royal du 18 avril 2017) ;

– si le montant estimé du marché est inférieur au seuil fixé pour la publicité européenne et qu’il est fait usage d’une procédure permettant une négociation, le pouvoir adjudicateur décide soit de déclarer nulle l’offre affectée d’une irrégularité substantielle, soit de faire régulariser cette irrégularité (art. 76, § 4, arrêté royal du 18 avril 2017).

Décision du Conseil d’Etat

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt n° 252.355 du 8 décembre 2021, une offre a été déclarée nulle pour cause d’irrégularité substantielle en raison d’une signature jugée non valide par le pouvoir adjudicateur.

Le pouvoir adjudicateur a en effet constaté que l’offre en question avait été signée électroniquement par une personne ne démontrant pas sa compétence pour engager le soumissionnaire, d’une part, et que, par ailleurs, la signature manuscrite apposée sur l’offre par la présidente du conseil d’administration du soumissionnaire ne constituait pas une signature électronique qualifiée, d’autre part.

Compte tenu de l’irrégularité substantielle de l’offre concernée, le pouvoir adjudicateur a considéré qu’il avait « l’obligation de déclarer cette offre irrégulière ».

Aux termes de son arrêt n° 252.355 du 8 décembre 2021, le Conseil d’Etat a tout d’abord confirmé qu’en l’espèce, le pouvoir adjudicateur pouvait considérer que l’offre du soumissionnaire en cause était irrégulière en raison d’une signature non conforme à l’article 43, § 1er, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 et que c’est à bon droit qu’il a qualifié cette irrégularité de substantielle dès lors que l’article 76, § 1er, de l’arrêté royal précité prévoit explicitement que le non-respect de l’article 43, § 1er, constitue une irrégularité substantielle.

Dans la mesure où le montant du marché concerné était inférieur au seuil fixé pour la publicité européenne et qu’il avait été fait usage d’une procédure permettant une négociation (procédure négociée directe avec publication préalable), le Conseil d’Etat a observé que le pouvoir adjudicateur pouvait certes écarter l’offre du soumissionnaire pour cause d’irrégularité substantielle mais qu’il n’avait toutefois pas l’obligation de le faire, conformément à ce que prévoit l’article 76, § 5, de l’arrêté royal du 18 avril 2017.

Le Conseil d’Etat a dès lors jugé qu’en considérant qu’il avait l’obligation de déclarer irrégulière l’offre du soumissionnaire en cause, le pouvoir adjudicateur a commis une erreur de droit en méconnaissant l’article 76, § 5, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 et en n’exerçant pas son pouvoir d’appréciation discrétionnaire par rapport à la faculté prévue par cette disposition de sorte que la suspension de l’exécution de la décision motivée d’attribution a été ordonnée.

Au-delà d’une interprétation erronée de l’article 76, § 5, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 par le pouvoir adjudicateur, il convient de s’interroger sur la suite qui devra être réservée à l’arrêt n° 252.355 du 8 décembre 2021. Le pouvoir adjudicateur pourrait-il en effet adopter une nouvelle décision d’attribution en se contentant d’indiquer que l’article 76, § 5, lui permet de déclarer nulle l’offre signée de manière irrégulière ou devra-t-il motiver son choix de ne pas permettre la régularisation de cette offre ?

Conscient de cette question, le Conseil d’Etat n’y a cependant pas répondu. Aux termes de son arrêt, le Conseil d’Etat a en effet estimé que, dans l’affaire qui lui était soumise, il n’y avait pas besoin « de déterminer si et dans quelle mesure le choix de ne pas faire usage de cette faculté [de recourir ou non à la possibilité de régulariser une irrégularité] doit faire l’objet, dans la décision, d’une motivation formelle ».

A défaut pour le Conseil d’Etat d’avoir tranché cette question, une comparaison paraît pouvoir être faite avec l’hypothèse prévue par l’article 66, § 3, de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics et qui permet au pouvoir adjudicateur d’inviter un candidat ou un soumissionnaire à présenter, compléter, clarifier ou préciser les informations ou les documents qui doivent être soumis par le candidat ou le soumissionnaire. S’agissant de cette faculté, le Conseil d’Etat considère qu’elle ne crée pas de droit dans le chef du soumissionnaire mais qu’il s’agit uniquement d’« une faculté au profit du pouvoir adjudicateur qui exerce, à cet égard, un pouvoir discrétionnaire, dont seule l’erreur manifeste d’appréciation peut être censurée » (C.E., arrêt n° 247.914 du 25 juin 2020, SPRL RENOVATION DE CONSTRUCTION).

Dans la mesure où, tout comme l’article 66, § 3, de la loi du 17 juin 2016, l’article 76, § 5, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 prévoit une faculté au profit du pouvoir adjudicateur (faire régulariser ou non une offre) sans imposer de conditions particulières, ce choix relève, me semble-t-il, du pouvoir discrétionnaire du pouvoir adjudicateur sans qu’il ne soit nécessaire de le justifier.

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