Critère de sélection vs. condition d’exécution du marché : rappel des principes par la Cour de justice de l’Union européenne

Aux termes de son arrêt C-295/20 du 8 juillet 2021, la Cour de justice de l'Union européenne a rappelé qu'une condition d'exécution du marché ne pouvait être érigée en critère de sélection. L'occasion pour la Cour de redéfinir ces notions.

Rappel des faits

Dans le cadre d’un marché public de services relatif à la gestion et au traitement de déchets dangereux passé par la Lituanie, un soumissionnaire (lituanien) a remis une offre prévoyant que le marché serait exécuté avec le concours de deux sous-traitants établis respectivement au Danemark et en République Tchèque.

Le pouvoir adjudicateur a toutefois rejeté l’offre du soumissionnaire en question en considérant que les critères de sélection n’étaient pas remplis en l’espèce. Le pouvoir adjudicateur a ainsi estimé que ledit soumissionnaire, n’étant pas titulaire de l’autorisation d’effectuer des transferts internationaux de déchets requis par le règlement n° 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant les transferts de déchets, n’avait pas démontré qu’il disposait du droit d’exercer l’activité concernée.

Saisi sur question préjudicielle par la Cour suprême de Lituanie, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à déterminer si le consentement accordé à un opérateur économique, nécessaire pour transférer des déchets d’un Etat membre vers un autre, est à qualifier de condition d’exécution du marché ou de condition tenant au droit d’exercer l’activité concernée qui peut être vérifiée dans le cadre des critères de sélection.

Décision de la Cour de justice de l’Union européenne

Aux termes de son arrêt C-295/20 du 8 juillet 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a tout d’abord rappelé qu’il résulte des articles 56, § 1er, b), ainsi que des articles 57 et 58 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics que les pouvoirs adjudicateurs ne peuvent imposer comme conditions de participation à une procédure de marché public que des critères de sélection qualitative qui ont trait (1) à l’aptitude à exercer l’activité professionnelle, (2) à la capacité économique et financière et (3) aux capacités techniques et professionnelles.

En l’espèce, il convenait dès lors de déterminer si l’obligation d’obtention du consentement des autorités compétentes pour pouvoir transférer des déchets dangereux d’un Etat membre vers un autre Etat pouvait être rattachée à l’une des trois catégories de critères de sélection qualitative susvisées.

A cet égard, la Cour a rappelé que l’aptitude d’un opérateur économique à exercer l’activité professionnelle concernée par un marché public permet aux pouvoirs adjudicateurs d’exiger à ce titre l’inscription des opérateurs économiques sur un registre professionnel ou sur un registre du commerce de leur Etat membre d’établissement. De même, dans les procédures de passation de marchés de services, lorsque les opérateurs économiques ont besoin d’une autorisation spécifique ou doivent être membres d’une organisation spécifique pour pouvoir fournir le service concerné dans leur pays d’origine, le pouvoir adjudicateur peut leur demander de prouver qu’ils possèdent cette autorisation ou qu’ils appartiennent à cette organisation.

Dans le cas présent, la Cour a toutefois estimé que l’obligation d’obtenir le consentement des autorités compétentes pour pouvoir transférer des déchets d’un Etat membre vers un autre Etat ne saurait être assimilée à celle d’être inscrit sur un registre professionnel ou de commerce d’un Etat membre ou à celle d’être titulaire d’une autorisation spécifique ou membre d’une organisation spécifique.

En ce qui concerne la question de savoir si l’obligation en cause est susceptible de relever des capacités techniques et professionnelles, la Cour a rappelé que les critères de sélection relatifs auxdites capacités permettent au pouvoirs adjudicateurs de subordonner la participation des opérateurs économiques à une procédure de passation de marché à la condition que ces opérateurs possèdent les ressources humaines et techniques et l’expérience nécessaires pour exécuter le marché en assurant un niveau de qualité approprié. L’appréciation des capacités techniques et professionnelles repose ainsi notamment sur une évaluation rétrospective de l’expérience acquise par les opérateurs économiques lors de l’exécution de marchés antérieurs.

Compte tenu de ces précisions, la Cour a considéré que l’obligation d’obtenir le consentement des autorités compétentes pour pouvoir transférer des déchets d’un Etat membre vers un autre Etat ne relève pas de la notion de capacités techniques et professionnelles.

A toutes fins utiles, la Cour a également observé que l’obligation en cause est sans rapport avec la capacité économique et financière.

Au vu de ce qui précède, la Cour a jugé que, dans le cadre du marché public litigieux, l’obligation, pour un opérateur économique désirant transférer des déchets d’un Etat membre vers un autre Etat, de disposer du consentement des autorités compétentes des Etats concernés par ce transfert constitue une condition d’exécution de ce marché et non une exigence pouvant être érigée comme critère de sélection.

La Cour a enfin fait part des réflexions suivantes en vue d’éviter les éventuels risques d’inexécution du marché : 

– le fait de qualifier l’obligation en cause de « condition d’exécution du marché » ne paraît pas de nature à fragiliser l’exécution du marché litigieux dès lors que le fait d’avoir déjà assuré des activités sensiblement équivalentes à celle concernée par le marché laisse augurer que l’opérateur économique sera apte à assurer l’exécution de ce marché ;

– le pouvoir adjudicateur aurait pu se prémunir contre un risque d’inexécution du marché en définissant des critères de sélection de nature à réduire les risques de non-délivrance du consentement, notamment en valorisant les expériences antérieures en matière de transfert des déchets dangereux.

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