Rectification d’une erreur matérielle par le pouvoir adjudicateur

Le pouvoir adjudicateur peut interroger un soumissionnaire s'il estime que l'offre contient une erreur matérielle et ce, afin de rechercher son intention réelle. Sur la base de la réponse fournie, l'offre pourra, le cas échéant, être rectifiée.

Rappel des faits

Dans le cadre d’un marché public de travaux relatif à l’installation de panneaux photovoltaïques, un soumissionnaire indique qu’il entend confier 80 % de l’exécution du marché à un sous-traitant. Interrogé par rapport au montant réellement sous-traité afin de pouvoir déterminer la classe d’agréation requise dans le chef du sous-traitant en question, le soumissionnaire signale une erreur matérielle et précise que la part du marché sous-traitée correspond, en réalité, à 20 % et non 80 %.

Après rectification de cette erreur, le soumissionnaire a obtenu le marché. L’un de ses concurrents a toutefois saisi le Conseil d’Etat d’une demande en suspension d’extrême urgence en soutenant notamment que, conformément à l’article 34 de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques, seule une erreur matérielle découverte par le pouvoir adjudicateur lui-même et corrigée par lui seul serait conforme à l’article 34 précité.

Principes et dispositions applicables

L’article 34, § 2, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques prévoit ce qui suit :

« Le pouvoir adjudicateur rectifie les erreurs dans les opérations arithmétiques et les erreurs purement matérielles dans les offres, sans que sa responsabilité ne soit engagée pour les erreurs qui n’auraient pas été décelées.

Afin de rectifier les erreurs dans les opérations arithmétiques et les erreurs purement matérielles relevées par lui dans les offres, le pouvoir adjudicateur recherche l’intention réelle du soumissionnaire en analysant l’offre dans sa globalité et en comparant celle-ci aux autres offres ainsi qu’aux prix courants. S’il s’avère que suite à cette analyse de l’offre, cette intention n’est pas suffisamment claire, le pouvoir adjudicateur peut, dans le délai qu’il détermine, inviter le soumissionnaire à préciser et à compléter la teneur de son offre sans la modifier et ce, sans préjudice de la possibilité de négocier lorsque la procédure le permet.

Lorsque, dans ce dernier cas, aucune précision n’est donnée ou que le pouvoir adjudicateur estime que la précision est inacceptable, il rectifie les erreurs en fonction de ses propres constatations. Si cela ne s’avère pas possible, le pouvoir adjudicateur peut soit décider que les prix unitaires sont d’application, soit décider d’écarter l’offre comme irrégulière ».

Il résulte de la disposition précitée que le pouvoir adjudicateur rectifie les erreurs dans les opérations arithmétiques et les erreurs purement matérielles dans les offres et qu’avant de corriger une éventuelle erreur, il doit s’assurer de l’intention réelle du soumissionnaire en ayant notamment égard à la globalité de l’offre, et que si l’intention réelle ne paraît pas suffisamment claire pour le pouvoir adjudicateur, celui-ci peut inviter le soumissionnaire concerné à apporter des précisions à cet égard.

Cette disposition trouve  un appui dans l’article 66, § 3, alinéa 1er, de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics, qui énonce ce qui suit :

« Sans préjudice de l’article 39, § 6, alinéa 2, lorsque les informations ou les documents qui doivent être soumis par le candidat ou soumissionnaire sont ou semblent incomplets ou erronés ou lorsque certains documents sont manquants, le pouvoir adjudicateur peut demander au candidat ou soumissionnaire concernés de présenter, compléter, clarifier ou préciser les informations ou les documents concernés dans un délai approprié, à condition que ces demandes respectent pleinement les principes d’égalité de traitement et de transparence et, s’il est fait usage de la procédure ouverte ou restreinte, que cela ne donne pas lieu à une modification des éléments essentiels de l’offre ».

 Si l’article 82 de l’arrêté royal précité énonce que « dès la date et l’heure limites d’introduction des offres, éventuellement prolongée, le soumissionnaire n’est plus fondé à se prévaloir des erreurs ou omissions qui pourraient figurer dans le métré récapitulatif ou dans l’inventaire mis à sa disposition par le pouvoir adjudicateur », cette disposition ne porte pas préjudice à l’obligation du pouvoir adjudicateur de corriger les erreurs matérielles même après l’ouverture des offres et donc de rechercher l’intention réelle du soumissionnaire.

Décision du Conseil d’Etat

En l’espèce, le pouvoir adjudicateur a constaté une anomalie dans l’offre d’un soumissionnaire dès lors qu’il existait une disproportion manifeste entre la part du marché annoncée comme étant sous-traitée et le montant pour lequel l’entreprise sous-traitante était agréée. Le pouvoir adjudicateur en a déduit qu’une erreur avait probablement été commise de sorte qu’il a interrogé le soumissionnaire concerné sur la base de l’article 34, § 2, de l’arrêté royal du 18 avril 2017 afin de rechercher son intention réelle. Sur la base de sa réponse, le pouvoir adjudicateur a considéré qu’il s’agissait d’une erreur matérielle au sens de la disposition précitée, et que celle-ci pouvait dès lors être rectifiée.

Aux termes de son arrêt n° 249.494 du 14 janvier 2021, le Conseil d’Etat a tout d’abord observé qu’en l’espèce, l’erreur avait donc bien été découverte par le pouvoir adjudicateur lui-même, contrairement à ce que soutenait la partie requérante.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat a estimé que, si l’article 34, § 2, n’indique pas ce qu’il convient d’entendre par une erreur matérielle, il se déduit de l’obligation de rechercher l’intention réelle du soumissionnaire comme de l’interdiction de modifier l’offre, que l’erreur matérielle doit s’entendre comme celle qui a manifestement pour effet d’aboutir à un résultat contraire à celui qu’entendait poursuivre le soumissionnaire. Lorsqu’il est question d’une erreur matérielle ou d’une erreur purement matérielle, le pouvoir adjudicateur dispose ainsi d’une liberté d’appréciation pour déterminer, à la lumière des circonstances, s’il est admissible qu’il s’agisse d’une erreur matérielle et si, lorsqu’il a commis l’erreur, l’intention du soumissionnaire était claire ou non. Il n’appartient dès lors pas au Conseil d’Etat de substituer sa propre appréciation à celle de l’administration.

En l’espèce, l’erreur portait sur la répartition des tâches entre le soumissionnaire et son sous-traitant. Le Conseil d’Etat a constaté que cette répartition était – et est toujours – fondée sur un rapport 20 % – 80 %, mais il s’est avéré qu’en complétant son offre, le soumissionnaire a inversé ce rapport en indiquant que le sous-traitant exécuterait 80 % du marché.

Eu égard aux circonstances de l’espèce, le Conseil d’Etat a considéré que le pouvoir adjudicateur a pu considérer, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que la mention figurant dans le formulaire d’offre constituait une erreur matérielle, qui pouvait donc être corrigée. La circonstance que cette erreur est apparue à l’occasion d’une demande d’explication adressée au soumissionnaire s’avère indifférente à cet égard.

Par voie de conséquence, le moyen tiré de la violation de l’article 34 de l’arrêté royal du 18 avril 2017 a été déclaré comme non-sérieux par le Conseil d’Etat.

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