Procédure négociée sans publication préalable pour cause d’urgence impérieuse – Balance des intérêts

Par un arrêt du 18 décembre 2020, le Conseil d'Etat a examiné le recours à la procédure négociée sans publication préalable pour cause d'urgence impérieuse. Malgré un moyen jugé sérieux, la décision n'a pas été suspendue suite à une balance des intérêts.

Rappel des faits

Dans le cadre d’un marché public à lots lancé conjointement par deux pouvoirs adjudicateurs et portant sur des prestations de service hivernal sur les routes, plusieurs procédures se sont succédées en raison de l’irrégularité des offres déposées.

Initialement passé par procédure ouverte, le marché a ensuite été relancé par procédure concurrentielle avec négociation. Face à un nouveau constat d’irrégularité de l’ensemble des offres, il a finalement été décidé de recourir à une procédure négociée sans publication préalable pour cause d’urgence impérieuse et ce, sur le fondement de l’article 42, § 1er, alinéa 1er, 1°, b), de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics.

Suite à l’attribution du marché, le Conseil d’Etat a été saisi d’un recours en suspension d’extrême urgence afin de dénoncer le recours irrégulier à la procédure négociée sans publication préalable et, partant, de solliciter la suspension de l’exécution des décisions d’attribution relatives à chaque lot.

Principes et dispositions applicables

L’article 42, § 1er, alinéa 1er, 1°, b), de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics prévoit ce qui suit :

 « Il ne peut être traité par procédure négociée sans publication préalable, mais si possible après consultation de plusieurs opérateurs économiques, que dans les cas suivants :

1° dans le cas d’un marché public de travaux, de fournitures ou de services, lorsque :

 […]

b) dans la mesure strictement nécessaire, lorsque l’urgence impérieuse résultant d’événements imprévisibles pour le pouvoir adjudicateur ne permet pas de respecter les délais exigés pour la procédure ouverte, restreinte ou concurrentielle avec négociation. Les circonstances invoquées ne peuvent, en aucun cas, être imputables au pouvoir adjudicateur ».

Compte tenu de son caractère dérogatoire, il ne peut être recouru à la procédure négociée sans publication préalable pour cause d’urgence impérieuse que lorsque les trois conditions cumulatives suivantes sont remplies :

– l’urgence résulte d’événements imprévisibles pour le pouvoir adjudicateur ;

– le pouvoir adjudicateur n’est pas responsable de la situation d’urgence ;

– l’urgence ne permet pas de respecter les délais exigés par la procédure ouverte, restreinte ou concurrentielle avec négociation.

Dès lors que le recours à cette procédure n’est autorisé que « dans la mesure strictement nécessaire », le pouvoir adjudicateur ne peut en faire usage que pour satisfaire le besoin urgent qui a justifié la passation du marché.

Décision du Conseil d’Etat

Moyen jugé sérieux…

Dans les cahiers spéciaux des charges adoptés en l’espèce pour chaque lot du marché, les pouvoirs adjudicateurs ont indiqué que « dans la mesure où, lors de la procédure ouverte initiée précédemment pour ce même marché, seules des offres irrégulières ou inacceptables ont été présentées, que par la suite, à l’issue d’une procédure concurrentielle avec négociation, seules des offres irrégulières ou inacceptables ont été présentées et que le délai restant avant le début de l’exécution du marché justifie le recours à la PNSPP vu l’urgence impérieuse ». En raison de l’urgence, la durée du délai de dépôt des offres a été fixée à 5 jours seulement.

Aux termes de son arrêt n° 249.291 du 18 décembre 2020, le Conseil d’Etat a cependant observé que des délais de 35, 39 et 63 jours ont séparé le dépôt des offres et la notification des décisions d’attribution relatives aux différents lots du marché en cause, ce qui dément prima facie l’urgence impérieuse invoquée par les pouvoirs adjudicateurs à devoir rapidement conclure les marchés en cause.

En l’espèce, aucun élément n’a été avancé pour justifier concrètement de tels délais alors pourtant que le nombre d’offres était particulièrement réduit et qu’aucune anormalité des prix n’a été détectée.

Le Conseil d’Etat a dès lors considéré que les pouvoirs adjudicateurs ne démontraient pas l’impossibilité de respecter les délais de dépôt des offres appliqués dans les procédures ordinaires avec publicité. L’occasion pour le Conseil d’Etat de rappeler que l’article 36, § 3, de la loi du 17 juin 2016 permet, en procédure ouverte, de réduire le délai de dépôt des offres à 15 jours pour les situations d’urgence dûment justifiées.

Dans ces circonstances, le Conseil d’Etat a estimé que le moyen critiquant le recours à la procédure négociée sans publication préalable était sérieux.

…mais pas de suspension suite à une balance des intérêts

Malgré le caractère sérieux du moyen, le Conseil d’Etat a interrogé les parties à l’audience sur l’éventualité de recourir à la balance des intérêts visée à l’article 15, alinéa 3, de la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l’information et aux voies de recours en matière de marchés publics, de certains marchés de travaux, de fournitures et de services et de concessions, qui prévoit ce qui suit :

« L’instance de recours peut, d’office ou à la demande de l’une des parties, tenir compte des conséquences probables de la suspension de l’exécution et des mesures provisoires pour tous les intérêts susceptibles d’être lésés, ainsi que de l’intérêt public, et peut décider de ne pas accorder la suspension de l’exécution ou les mesures provisoires lorsque leurs conséquences négatives pourraient l’emporter sur leurs avantages. »

Après avoir entendu chaque partie, le Conseil d’Etat a estimé que les impératifs de sécurité publique imposent que les décisions d’attribution attaquées puissent être immédiatement exécutées afin de garantir la praticabilité des routes et protéger ses usagers contre les risques d’accident, en cas de gel ou de chutes de neige, pendant la période hivernale qui vient de débuter.

Le Conseil d’Etat a dès lors considéré que les impératifs de sécurité publique précités devaient l’emporter sur l’avantage que la partie requérante pourrait tirer d’un arrêt de suspension de sorte qu’il n’a finalement pas été fait droit à la demande de suspension alors pourtant que cette demande reposait sur des arguments jugés sérieux.

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