Absence de visite des lieux ou défaut d’attestation de visite : irrégularité substantielle de l’offre ?

Relevé de jurisprudence concernant le sort pouvant être réservé à l'offre d'un soumissionnaire qui n'a pas participé à une visite des lieux imposée par les documents du marché ou qui, à tout le moins, n'a pas joint d'attestation de visite à son offre.

Dans le cadre de certains marchés publics (de travaux notamment), une visite des lieux est imposée par le pouvoir adjudicateur aux termes du cahier spécial des charges. Ceci permet entre autres de s’assurer que les soumissionnaires appréhenderont correctement la situation des lieux dans le cadre de leur offre et, partant, de réduire le risque de difficultés lors de l’exécution du marché.

Lorsqu’une visite des lieux est rendue obligatoire par les documents du marché, il est généralement demandé aux soumissionnaires de joindre une attestation à leur offre afin de démontrer la réalité de la visite et le respect des éventuelles modalités fixées par le pouvoir adjudicateur.

Dans l’hypothèse où une visite est imposée mais que l’attestation de visite n’est pas jointe à l’offre, quel sort doit alors être réservé à cette offre ? Vous trouverez, ci-dessous, un bref aperçu de la jurisprudence du Conseil d’Etat sur cette question.

Irrégularités substantielles ou non-substantielles

Afin d’être considérée comme régulière, une offre doit être conforme à la réglementation relative aux marchés publics ainsi qu’aux conditions essentielles prévues par le cahier spécial des charges.

Sur la base de l’article 76 de l’arrêté royal du 18 avril 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs classiques (pour les secteurs spéciaux, voy. art. 74 de l’arrêté royal du 18 juin 2017 relatif à la passation des marchés publics dans les secteurs spéciaux), une distinction doit être faite entre, d’une part, les irrégularités substantielles et, d’autre part, les irrégularités non-substantielles.

Lorsqu’une offre est affectée d’un ou de plusieurs irrégularités non-substantielles qui, même cumulées ou combinées, n’ont pas les effets d’une irrégularité substantielle, l’article 76, § 2, indique que l’offre n’est pas déclarée nulle.

Si, par contre, l’offre est affectée d’une irrégularité substantielle ou de plusieurs irrégularités non-substantielles qui, du fait de leur cumul ou de leur combinaison, sont de nature à avoir les mêmes effets qu’une irrégularité substantielle, le pouvoir adjudicateur doit alors déclarer l’offre nulle (procédure ouverte et restreinte) ou peut éventuellement faire régulariser l’offre moyennant le strict respect des conditions prévues à l’article 76, §§ 4 et 5 (procédures permettant une négociation).

Selon l’article 76, § 1er, de l’arrêté royal du 18 avril 2017, constitue une irrégularité substantielle celle qui est de nature :

 – à donner un avantage discriminatoire au soumissionnaire ;

– à entraîner une distorsion de concurrence ;

– à empêcher l’évaluation de l’offre du soumissionnaire ou la comparaison de celle-ci aux autres offres ;

– à rendre inexistant, incomplet ou incertain l’engagement du soumissionnaire à exécuter le marché dans les conditions prévues.

En outre, sont d’office réputées substantielles les irrégularités prévues par l’article 76, § 1er, alinéa 4, 1° à 3°, de l’arrêté royal du 18 avril 2017.

Au vu de ce qui précède, les conséquences attachées à chaque type d’irrégularité (substantielle ou non-substantielle) peuvent fortement varier.

A cet égard, le Conseil d’Etat rappelle, de manière constante, qu’au titre de l’obligation de motivation formelle, un pouvoir adjudicateur confronté à une irrégularité ne peut se limiter à constater celle-ci. Il doit en effet se prononcer sur le caractère substantiel ou non de l’irrégularité et, le cas échéant, exposer les motifs pour lesquels il décide d’écarter ou de retenir l’offre affectée d’une irrégularité considérée comme non-substantielle (C.E., arrêt n° 247.300 du 12 mars 2020, SA SERVITEX).

Absence de visite des lieux

Dans l’hypothèse où une visite des lieux doit obligatoirement être réalisée par chaque soumissionnaire sous peine de nullité de l’offre, le Conseil d’Etat estime que le défaut de visite constitue une irrégularité substantielle qui doit entraîner la nullité absolue de l’offre sans que le pouvoir adjudicateur ne dispose d’un quelconque pouvoir d’appréciation (C.E., arrêt n° 231.106 du 5 mai 2015, SPRL ABC ETUDES ET CONSTRUCTIONS).

A supposer que les documents du marché n’érigent pas explicitement le défaut de visite comme cause de nullité de l’offre, l’on pourrait néanmoins considérer, en fonction des circonstances particulières de chaque marché et aux termes d’une motivation adéquate, que le fait de ne pas avoir procédé à une visite des lieux obligatoire constitue une irrégularité substantielle dès lors qu’elle rend, par exemple, l’engagement du soumissionnaire inexistant, incomplet ou incertain.

Par prudence, il convient néanmoins d’indiquer clairement dans les documents du marché qu’une visite des lieux doit obligatoirement être réalisée et ce, sous peine de nullité de l’offre. 

Défaut d’attestation de visite

Lorsqu’une visite des lieux est imposée, il est généralement demandé aux soumissionnaires de joindre une attestation de visite à leur offre.

Quel serait dès lors le sort à réserver à une offre qui ne contient pas d’attestation de visite ?

Aux termes d’un arrêt n° 247.346 du 27 mars 2020, le Conseil d’Etat a examiné cette question et a distingué deux situations : celle où les soumissionnaires potentiels effectuent librement la visite des lieux sans nécessairement en aviser le pouvoir adjudicateur et celle où la participation à la visite des lieux est établie et connue du pouvoir adjudicateur.

Malgré le fait qu’en l’espèce le cahier spécial des charges imposait de joindre une attestation de visite à l’offre, le Conseil d’Etat a estimé que cette obligation ne s’appliquait pas aux soumissionnaires ayant effectué une visite guidée des lieux en présence du pouvoir adjudicateur. Le Conseil d’Etat a en effet considéré que l’obligation de fournir une attestation de visite est « dépourvu d’intérêt à l’égard des soumissionnaires qui ont participé à la visite guidée et dont la présence est, par définition, établie et connue du pouvoir adjudicateur« .

Le Conseil d’Etat a dès lors rejeté la demande en suspension selon la procédure d’extrême urgence dirigée contre la décision attribuant un marché public à un soumissionnaire n’ayant pas joint d’attestation de visite à son offre dans la mesure où le dossier administratif permettait de démontrer que ledit soumissionnaire avait participé à la visite guidée organisée par le pouvoir adjudicateur.

Il paraît se déduire de ce qui précède que le défaut d’attestation de visite ne pourrait constituer une irrégularité – le cas échéant substantielle – de l’offre que si la présence de l’opérateur économique à une visite n’est ni établie ni connue du pouvoir adjudicateur. Lorsque l’opérateur économique a effectué une visite guidée en présence du pouvoir adjudicateur et que cela est attesté par le dossier administratif, le Conseil d’Etat estime, avec bon sens, que l’obligation de fournir une attestation de visite ne présente aucun intérêt.

Par un arrêt n° 248.419 du 1er octobre 2020, le Conseil d’Etat a également considéré qu’en raison de la crise sanitaire liée à l’épidémie de coronavirus et de la situation de force majeure que cette crise représente, une attestation de visite des lieux signée soit par un autre membre du personnel du pouvoir adjudicateur que celui indiqué par le cahier spécial des charges, soit par les soumissionnaires eux-mêmes sous forme de déclaration sur l’honneur, pouvait être acceptée.

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